Chronique de jurisprudence loi Littoral du mois de mars 2022

par | Août 11, 2022 | Chroniques, Jurisprudence - Loi littoral, Loi littoral | 0 commentaires

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Résumé : au sommaire de cette chronique de jurisprudence sur la loi Littoral du mois de mars 2022, quelques décisions sur le principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants et, notamment, sur la notion d’extension de l’urbanisation. Le Blog loi Littoral rapporte également deux décisions de la Cour administrative d’appel de Nantes sur la notion d’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage. En matière d’espaces remarquables, la même Cour confirme que l’existence d’un site classé, d’une ZNIEFF ou d’un site Natura 2000 doit être prise en compte. Enfin, le Conseil d’Etat rappelle que dans les espaces urbanisés de la bande de cent mètres, les opérations qui entraînent une densification significative sont interdites.

Loi Littoral et PADDUC – continuité avec les agglomérations et villages existants

Le plan d’aménagement et de développement durable de Corse (PADDUC) précise les modalités d’application des dispositions de la loi Littoral et particulièrement des notions d’agglomérations et villages existants en application du I de l’article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales. Il prévoit que, dans le contexte géographique, urbain et socioéconomique de la Corse, une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu’elle constitue, à l’importance et à la densité significative de l’espace considéré et à la fonction structurante qu’elle joue à l’échelle de la micro-région ou de l’armature urbaine insulaire. Pour sa part, un village est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l’espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l’organisation et le développement de la commune. Le Blog avait fait le point sur ce dispositif.

Pour son application, la Cour administrative d’appel de Marseille juge – non sans sévérité – qu’un terrain qui se situe à la frontière entre un espace naturel et un secteur composé de constructions éparses situées le long d’une route, lequel n’est pas caractérisé par une densité significative de constructions, n’est pas en continuité avec une agglomération ou un village existant tels qu’ils sont définis par le PADDUC (CAA Marseille, 21 mars 2022, n° 20MA01439). La Cour a rendu un arrêt identique le même jour pour la parcelle voisine F 1802 (CAA Marseille, 21 mars 2022, n° 20MA01439).

Les parcelles F 1805 et 1802 en bordure du lieu dit Cavu sur la commune de Zonza (Corse du Sud) – carte géoportail interactive

Agglomérations et villages existants – notion d’extension de l’urbanisation

L’article L.121-8 du code de l’urbanisme issu de la loi Littoral dispose que l’extension de l’urbanisation doit se réaliser en continuité des agglomérations et des villages existants ou dans les secteurs déjà urbanisés. Pour l’application de ces dispositions, la jurisprudence distingue clairement la notion d’extension de l’urbanisation et celle d’extension d’une construction. Alors que la première est soumise au principe de continuité, ce n’est pas le cas de la seconde.

Le Conseil d’Etat a, en effet rappelé que si, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral, le simple agrandissement d’une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation au sens de ces dispositions. Le Blog loi Littoral avait commenté cet arrêt. Si cette analyse ne pose pas de difficulté lorsque le projet consiste à créer un garage ou une véranda, il suscite plus d’interrogations lorsque l’extension augmente de manière très significative la surface de l’existant. La Cour administrative d’appel de Nantes avait apporté un élément de réponse en jugeant que des extensions et aménagements qui n’apparaissent pas excessifs par rapport à la surface initiale de la construction existante ne peuvent être regardés comme une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme (CAA Nantes, 26 mai 2021, n° 20NT00466, SCI Sainte Barbe).

La Cour administrative d’appel de Marseille confirme cette analyse et juge qu’un projet qui consiste en la réalisation d’une extension, d’une surface de plancher de 188,30 mètres carrés, d’une construction existante d’une surface initiale avant travaux de 670 mètres carrés présente un caractère mesuré et ne saurait être regardée comme une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme (CAA Marseille, 29 mars 2022, n° 19MA02687). Merci aux confrères du cabinet Gil-Fourrier– Cros–Crespy pour les précisions apportées sur cette décision.

 

La construction avant et après l’extension (déplacez la barre verticale pour visualiser l’évolution)

Agglomérations et villages existants

Pour la mise en œuvre de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, le Conseil d’État a rappelé « qu’il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c’est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais que, en revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages » (CE, 9 novembre 2015, n° 372531, Commune de Porto-Vecchio).

En application de principe, la Cour administrative d’appel de Bordeaux juge qu’un terrain autour duquel n’est implanté qu’un nombre limité de maisons à usage d’habitation éloignées les unes des autres et séparées par des parcelles à l’état naturel n’est pas en continuité d’une agglomération ou d’un village existant (CAA Bordeaux, 18 mars 2022, n° 20BX08871). La Cour ajoute que la commune ne peut pas se prévaloir de la plus grande taille des parcelles et de la moindre densité en milieu rural. Cette logique avait déjà été rappelée par le Conseil d’Etat en 2019.

La parcelle C 1825 sur la commune de Grayan-et-l’hôpital (carte géoportail interactive)

Espaces proches du rivage

Dans les espaces proches du rivage de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme, une opération n’entraîne une extension de l’urbanisation que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions (CE, 7 février 2005, n° 264315, Société Soleil d’or et Commune de Menton).

Conformément à ce principe, la Cour administrative d’appel de Nantes juge que la réalisation d’un lotissement de 10 lots dans un quartier pavillonnaire n’entraîne pas une extension de l’urbanisation (CAA Nantes, 8 mars 2022, n° 21NT01100). Le blog avait commenté cette décision.

Implantation du lotissement de 10 lots sur la commune de Roscoff (Finistère)

Dans la même logique, la Cour administrative d’appel de Nantes juge qu’un projet dont l’emprise au sol est de 1 424 m2, n’étend pas de manière significative l’urbanisation du quartier densément bâti dans lequel il s’insère, ni n’en modifie de manière importante les caractéristiques. Dès lors, il doit être regardé comme une simple opération de construction et non une extension de l’urbanisation au sens des dispositions précitées de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme (CAA Nantes, 22 mars 2022, n° 21NT01140). Le blog avait aussi relevé cet arrêt.

Implantation de la résidence de la société Belhambra sur la commune de Trégastel (Côtes d’Armor)

Espaces remarquables et caractéristiques

Les dispositions relatives aux espaces remarquables et caractéristiques sont codifiées aux articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de l’urbanisme. Ces dispositions imposent la préservation des espaces terrestres et marins, remarquables et caractéristiques du patrimoine naturel ou culturel du littoral et nécessaires aux équilibres écologiques littoraux. Dans ces espaces, seuls des aménagements légers peuvent être admis.

Pour l’application de ces dispositions, le Conseil d’État considère que les parties naturelles des sites inscrits ou classés doivent être présumées constituer un paysage remarquable ou caractéristique eu égard à l’objet des procédures de classement et d’inscription prévues par la loi du 2 mai 1930 (CE, 29 juin 1998, n° 160256, Chouzenoux). Il juge également que les espaces inclus dans des inventaires ZNIEFF sont également susceptibles d’être qualifiés de remarquables ou caractéristiques (CE, 6 novembre 2006, n° 282539, Communauté de communes du Pays de Honfleur). Il en va de même pour les sites NATURA 2000 (CE, 3 septembre 2009, n° 306298, Commune de Canet-en-Roussillon).

Conformément à cette logique, la Cour administrative d’appel de Nantes juge que des parcelles dépourvues de toute habitation qui se situent au sein d’un secteur resté pour l’essentiel à l’état naturel, en bordure du littoral, et concernés par deux zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique de types 1 et 2 constituent un espace remarquables (CAA Nantes, 8 mars 2022, n° 20NT03573, SCI Clet).

Les parcelles n° 85, 332 et 806 au lieu dit Kerlivio sur l’Ile de Groix (carte géoportail interactive)

Bande de cent mètres – notion de densification significative d’un espace urbanisé

Le Conseil d’Etat a rappelé que les dispositions relatives à la continuité avec les agglomérations et les villages existants, à l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage et celles qui interdisent toute construction dans la bande littorale de cent mètres, devaient être appliquées de manière cumulée. En conséquence, les espaces urbanisés de la bande de cent mètres font partie des espaces proches du rivage et les constructions ne sont possibles qu’à la condition qu’elles n’entraînent pas une densification significative de ces espaces (CE, 21 juin 2018, req. n° 416564). Cette notion de densification significative avait été mise en oeuvre par la Cour administrative d’appel de Nantes dans une affaire sur la commune de Trébeurden que le blog avait commenté puis dans une autre sur la commune de Ploemeur également rapportée.

Dans cette logique, le Conseil d’Etat annule une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) du PLU de la commune de Cucq qui prévoit la réalisation, sur un secteur qui inclut la bande littorale des cent mètres, dans un espace dénué de construction, de 320 logements répartis dans des immeubles de deux à quatre étages, pour une surface de plancher de 30 000 m². Pour le juge, ce projet entraînera une densification significative de cette partie du front de mer, même si ce secteur est entouré de manière plus ou moins proche de parcelles construites (CE, 7 mars 2022, n° 443804). Les conclusions du rapporteur public sont disponibles sur la base Ariane du Conseil d’Etat.

Le secteur de l’OAP du front de mer (image Google interactive)

Sources des illustrations : Pixabay, Géoportail et Google

 

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